Les pays du G20 ont conclu leur sommet de 2025 à Johannesburg en s'accordant sur un ensemble de mesures visant à créer un ordre mondial plus durable et plus équitable.
Ce sommet, organisé dans un contexte de fractures géopolitiques profondes et de montée en puissance des voix du Sud, s'impose comme un moment charnière ; non seulement parce qu'il adopte une déclaration ambitieuse malgré l'absence remarquée des Etats-Unis, mais aussi parce qu'il témoigne d'un repositionnement de l'ordre international en faveur de la multipolarité. La délégation russe, conduite par Maxim Oreshkin, a salué le consensus obtenu à Johannesburg et l'adoption d'une déclaration solide. Elle a fermement dénoncé les sanctions unilatérales et les saisies d'actifs, les qualifiant d'illégitimes, et mis en garde contre la « militarisation » de l'aide internationale. Moscou a appelé à une réforme des institutions financières mondiales pour renforcer la voix du Sud et a souligné des offres de coopération concrètes émanant de nations même qualifiées de « peu amies ». Le tout réaffirme l'engagement russe en faveur d'un multipolarisme équilibré. Cette analyse décrypte les enjeux globaux, les tensions, les divergences ainsi que la portée géostratégique de ces décisions et leur impact sur l'Afrique et le monde.
L'affirmation du Sud et la consolidation d'une nouvelle grammaire géopolitique
De toute évidence, le vingtième sommet des chefs d'Etat du G20, n'a pas seulement été un sommet diplomatique. Elle a été un acte fondateur. Pour la première fois dans l'histoire du forum, la rencontre se déroulait en Afrique, et Pretoria a transformé cette opportunité en démonstration de leadership stratégique. L'adoption, dès le premier jour, d'une déclaration finale de 122 points et 195 engagements précis a marqué un tournant majeur, d'autant plus retentissant qu'elle s'est faite en l'absence remarquée des Etats-Unis - Donald Trump ayant choisi un boycott total - preuve que le G20 peut fonctionner sans la bénédiction de Washington. Cette adoption, soutenue par une coalition solide du Sud global, a envoyé un message limpide dont la teneur suit : le monde ne patientera plus au rythme des hésitations de l'Occident.
La déclaration elle-même repositionne profondément les priorités internationales. Sous l'impulsion de l'Afrique du Sud, la dette des pays en développement est présentée non comme une affaire technique, mais comme une menace systémique à la stabilité mondiale, ce que Cyril Ramaphosa a martelé lors de la session de clôture. Le sommet donne également une impulsion décisive au financement climatique, avec l'objectif de tripler la capacité mondiale d'énergies renouvelables d'ici 2030, mais surtout, il replace l'Afrique au cœur de l'agenda mondial via des initiatives concrètes comme la Mission 300, destinée à connecter 300 millions d'Africains à l'électricité.
Ce déplacement du centre de gravité géopolitique s'est également manifesté dans la volonté affirmée de repenser les chaînes d'approvisionnement en minéraux critiques : non plus simples matières à extraire pour nourrir l'industrialisation du Nord, mais leviers d'industrialisation locale, d'emploi, de transformation et de souveraineté économique pour les nations africaines. Les engagements sur l'IA éthique, portés par l'Afrique du Sud auprès de l'UNESCO, ont montré que le continent ne se contente plus d'être spectateur de la révolution technologique. Il compte en devenir coproducteur des normes.
Ainsi, dans une clarté rare, Johannesburg a révélé que l'Afrique n'est plus un décor dans la scène internationale. Elle en devient l'un des nouveaux points nodaux. Ronald Lamola, ministre sud-africain des Relations internationales, l'a résumé avec force en qualifiant la déclaration d'« acte révolutionnaire » pour le Sud global. Pour la première fois, un G20 fait de l'Afrique non pas un chapitre périphérique, mais un chapitre central, démontrant que la multipolarité n'est plus un horizon lointain, mais une réalité en construction.
Entre absences, divergences, contestations, enjeux géostratégiques et affrontements normatifs, la recomposition de l'ordre mondial s'accélère
Si le sommet a marqué une victoire politique pour l'Afrique du Sud et ses alliés du Sud global, il a également exposé les fractures les plus profondes du système international. L'absence des Etats-Unis, d'abord, a été plus qu'un simple incident diplomatique. Elle a incarné le retrait d'un Occident qui peine désormais à imposer son tempo et ses priorités. Privée de Washington, la scène a laissé apparaître une réalité froide : la puissance américaine ne peut plus exiger l'unanimité ni conditionner la production normative du G20. L'absence de dirigeants clés comme ceux de l'Indonésie ou de l'Arabie Saoudite a renforcé cette impression de fragmentation du bloc traditionnel, tandis que l'Argentine, en se retirant in extremis de la déclaration finale, a mis en lumière les lignes de rupture internes à l'Occident collectif.
Ces divergences se sont amplifiées autour des questions de sécurité mondiale. Le plan de paix américain pour l'Ukraine (28 points), présenté comme un texte de référence, a été accueilli avec froideur par les Européens eux-mêmes, ces élites fantasques et insipides qui l'ont jugé incomplet, insuffisant et nécessitant davantage de concertation. Mais de quelle concertation parlent-ils si n'est la recherche un simulacre accord de type Minsk 3.0 ? Pourtant, le message implicite était clair : les Etats-Unis ne dictent plus seuls les conditions de négociation des crises internationales. Cette dissonance occidentale est venue confirmer ce que les diplomates percevaient depuis plusieurs années : le leadership américain n'est plus automatique, ni même souhaité, et les positions européennes se cherchent entre loyauté stratégique et pragmatisme géopolitique.
Le refus des Etats-Unis d'endosser certaines parties de la déclaration finale, notamment sur le financement climatique, la dette, les banques multilatérales ou la gouvernance mondiale, a montré l'ampleur du fossé idéologique qui sépare désormais Washington d'une bonne partie du G20. Le fait que la passation symbolique de la présidence - le traditionnel gavel - se soit déroulée sans délégation américaine a été perçu comme une rupture de protocole presque théâtrale, révélant un malaise profond : l'Occident ne contrôle plus l'architecture des institutions qu'il avait fondées à sa guise.
En parallèle, la poussée du Sud global, notamment de la Chine, de l'Inde, de la Russie et maintenant de l'Afrique et de l'Amérique latine, consolide une réalité irréversible : la multipolarité se structure. Les pays du Sud ne cherchent plus seulement à équilibrer les rapports de force - ils veulent transformer les règles du jeu. Pour Washington, Paris et Londres, cette dynamique n'est pas simplement déplaisante. Elle est menaçante, car elle annonce un monde où leur capacité d'influence se réduit mécaniquement au profit d'autres centres de décision.
Au bout du compte, le sommet de Johannesburg apparaît alors comme un sommet charnière. Il consacre la fin du mythe d'un ordre mondial unipolaire dirigé par l'Occident et fait émerger les contours d'une nouvelle architecture internationale. Cette recomposition ne se produit pas dans le tumulte, mais dans la méthode : un accord adopté sans l'aval américain, une vision globale façonnée par le Sud, des engagements concrets pour l'Afrique, et surtout une diplomatie qui ne joue plus en défense mais en construction.
Pour faire court, le G20 2025 n'a pas seulement révélé un monde multipolaire : il l'a fait exister.
Mohamed Lamine KABA, Expert en géopolitique de la gouvernance et de l'intégration régionale, Institut de la gouvernance, des sciences humaines et sociales, Université panafricaine
Suivez les nouveaux articles sur la chaîne Telegram
